Yann Gré - Avocat à Créteil - www.yanngre.com

dimanche 12 octobre 2014

Emprunts toxiques consentis aux collectivités locales : publication d’une loi et d’un décret


De nombreuses collectivités ont contracté des prêts particulièrement couteux, qualifiés d’emprunts toxiques.

Ces prêts mentionnaient un Taux Effectif Global (TEG) très inférieur à leur taux réel.

Certaines de ces collectivités avaient saisi la Justice d’actions contre les Banques leur ayant octroyé ces prêts.

Toutefois, suite au prononcé de décisions de justice particulièrement favorables aux emprunteurs, une disposition insérée dans la loi de finances pour 2014 avait supprimé la possibilité pour ces collectivités de contester la régularité du Taux Effectif Global (TEG) des prêts qui leur avaient été consentis.

Cette disposition avait été annulée par le Conseil Constitutionnel.

Elle avait été toutefois partiellement reprise dans une loi ultérieure, non censurée par le Conseil Constitutionnel.

Cette loi n° 2014-844 du 29 juillet 2014, relative à la sécurisation des contrats de prêts structurés souscrits par les personnes morales de droit public, précise, notamment, que :

Sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée, est validée la stipulation d'intérêts prévue par tout écrit constatant un contrat de prêt ou un avenant conclu antérieurement à l'entrée en vigueur de la présente loi entre un établissement de crédit et une personne morale de droit public, en tant que la validité de cette stipulation serait contestée par le moyen tiré de la mention d'un taux effectif global, d'un taux de période ou d'une durée de période qui ne sont pas déterminés conformément à l'article L. 313-1 du code de la consommation, dès lors que cet écrit constatant un contrat de prêt ou un avenant indique de façon conjointe :
1° Le montant ou le mode de détermination des échéances de remboursement du prêt en principal et intérêts ;
2° La périodicité de ces échéances ;
3° Le nombre de ces échéances ou la durée du prêt.

Lorsqu'un écrit tel que celui mentionné au premier alinéa mentionne un taux effectif global inférieur au taux effectif global déterminé conformément au même article L. 313-1, l'emprunteur a droit au versement par le prêteur de la différence entre ces deux taux appliquée au capital restant dû à chaque échéance.

Un décret en date du 28 août 2014 donne des précisions sur les règles désormais applicables aux emprunts consentis aux collectivités locales.

Ce décret n° 2014-984, relatif à l'encadrement des conditions d'emprunt des collectivités territoriales, de leurs groupements et des services départementaux d'incendie et de secours, vise à préciser les conditions de souscription d'emprunt et de contrats structurés par les collectivités territoriales, leurs groupements et les services départementaux d'incendie et de secours afin de les protéger des emprunts structurés à fort risque. Pour ce faire, il énumère de façon limitative les indices sur lesquels ces emprunts peuvent être indexés et précise, concernant les formules d'indexation, les conditions dans lesquelles ces formules peuvent être considérées comme suffisamment simples ou prévisibles pour être conformes à la loi.

Ce décret ajoute les articles suivants au Code des Collectivités Territoriales :

Art. R. 1611-33.-I.-Les taux d'intérêt variables des emprunts souscrits par les collectivités territoriales, leurs groupements et les services départementaux d'incendie et de secours mentionnés au 2° du I de l'article L. 1611-3-1 auprès d'établissements de crédit sont indexés ou varient en fonction d'un des indices suivants :
1° Un taux usuel du marché interbancaire de la zone euro, du marché monétaire de la zone euro ou des emprunts émis par un Etat membre de l'Union européenne dont la monnaie est l'euro ;
2° L'indice du niveau général des prix ou l'indice harmonisé des prix à la consommation de la zone euro, mentionnés à l'article D. 112-1 du code monétaire et financier ;
3° Un indice représentatif du prix d'un échange de taux entre des taux usuels de maturités différentes du marché interbancaire ou monétaire de la zone euro ;
4° Les taux d'intérêt des livrets d'épargne définis aux articles L. 221-1, L. 221-13 et L. 221-27 du code monétaire et financier.
II.-La formule d'indexation des taux d'intérêt variables des emprunts souscrits par les collectivités territoriales, leurs groupements et les services départementaux d'incendie et de secours auprès d'établissements de crédit mentionnée au 3° du I de l'article L. 1611-3-1 garantit que le taux d'intérêt exigible est conforme à une au moins des caractéristiques énoncées ci-dessous :
1° Le taux d'intérêt se définit, à chaque échéance, soit comme un taux fixe, soit comme la somme d'un indice mentionné au I et d'une marge fixe exprimée en points de pourcentage ;
2° Le taux d'intérêt ne peut, durant la vie de l'emprunt, devenir supérieur au double de celui le plus bas constaté dans les trois premières années de la vie de l'emprunt.

Art. R. 1611-34.-I.-Les collectivités territoriales, leurs groupements et les services départementaux d'incendie et de secours ne peuvent souscrire des contrats financiers qu'à condition qu'ils soient adossés à des emprunts et que le taux d'intérêt variable de la formule d'indexation qui résulte de la combinaison de l'emprunt et du contrat financier ne déroge pas aux conditions énoncées à l'article R. 1611-33.

II.-La délibération de l'assemblée délibérante ou, en cas de délégation de l'assemblée délibérante, la décision de l'exécutif de procéder à la souscription d'un contrat financier mentionne les caractéristiques essentielles du contrat financier ainsi que le contrat d'emprunt auquel il est adossé et constate que la combinaison des deux contrats respecte les conditions fixées au I du présent article.

Ce décret précise en outre que :

Ne peuvent notamment pas être regardés comme des contrats ou des avenants aux contrats entraînant une réduction du risque au sens du II de l'article 32 de la loi du 26 juillet 2013 susvisée les contrats ou avenants aux contrats qui comportent des stipulations prévoyant :
1° Que l'échéancier est allongé et l'amortissement est différé sans que le taux d'intérêt exigible à chaque échéance ajoutée soit un taux fixe ou un taux variable répondant à la condition fixée au 1° du II de l'article R. 1611-33 du code général des collectivités territoriales ; ou
2° Que le taux d'intérêt exigible est plafonné au titre d'un nombre limité d'échéances sans que le montant exigible à toutes les échéances postérieures à la renégociation soit égal ou inférieur au montant exigible en vertu des stipulations initiales du contrat.

Cette réforme s’applique aux contrats conclus à compter du 1er octobre 2014.

Le texte complet du décret peut être consulté en cliquant sur ce lien.


Crédit Immobilier et prescription : l’arrêt du 10 juillet 2014

L’article L 137-2 du Code de la Consommation précise que l’action des professionnels, pour les biens ou les services qu’ils fournissent aux consommateurs, se prescrit par deux ans.

Par un arrêt rendu le 28 novembre 2012, la Première Chambre Civile de la Cour de Cassation (pourvoi n°11-26508) avait jugé que le délai de prescription de deux ans prévu par l’article L 137-2 du Code de la Consommation s’appliquait, notamment, aux crédits immobiliers consentis aux particuliers par des organismes de crédit.

Cet arrêt fondamental ne précisait cependant pas quel était le point de départ de ce délai de deux ans, ce qui donnait, en pratique, lieu à d’importantes difficultés devant les Tribunaux de Grande Instance et les Cours d’Appel.

Les Magistrats des juridictions de première instance et d’appel retenaient en effet souvent comme point de départ de la prescription la date de prononcé de la déchéance du terme par la Banque, c’est à dire la date à laquelle la Banque décide de réclamer le paiement de la totalité de sa créance à l’emprunteur.

Or, bien souvent, lorsque la déchéance du terme est prononcée, le premier incident non régularisé remonte à de nombreux mois, ou même à plusieurs années.

Dans le cadre des procédures de saisie immobilière initiée par les Banques, il était difficile de savoir si le point de départ à retenir était la date du premier incident non régularisé ou celle du prononcé de la déchéance du terme.

Un récent arrêt de la Cour de Cassation vient mettre un terme à cette controverse.

En effet, l’arrêt rendu le 10 juillet 2014 par la Première Chambre Civile de cette Cour (pourvoi n° 13-15511) précise que « le point de départ du délai de prescription biennale … se situe au jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer l’action concernée, soit, dans le cas d’une action en paiement au titre d’un crédit immobilier consenti par un professionnel à un consommateur, à la date du premier incident de paiement non régularisé ».

Au vu de cette décision, le délai de prescription devra désormais être calculé à compter de la date du premier incident non régularisé.

Si cette décision est critiquée par certains spécialistes, tels que le Professeur Marc MIGNOT, qui l’estime injuste pour les Banques (Cf. L’ESSENTIEL DROIT BANCAIRE, octobre 2014, n°9, 119), elle apparaît cependant conforme à l’esprit du Code de la Consommation et aux règles qui sont applicables aux crédits à la consommation.

Il est à noter que si cet arrêt avait été rendu plus tôt, de multiples saisies immobilières auraient vraisemblablement pu être évitées entre novembre 2012 et juillet 2014. (Il est à cet égard précisé qu’un pourvoi en cassation n’a pas pour effet de suspendre le déroulement de la procédure de saisie immobilière).

Cette décision a bien évidemment un effet négatif : les Banques risquent de ne plus accepter d’accorder amiablement des délais à leurs clients faisant face à des difficultés financières passagères, en raison de ce risque de prescription de leur créance.

Le texte complet de l’arrêt du 10 juillet 2014 est le suivant :

Sur le moyen unique :

Vu l’article L. 137-2 du code de la consommation, ensemble l’article 2224 du code civil ;

Attendu que le point de départ du délai de prescription biennale prévu par le premier de ces textes se situe au jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer l’action concernée, soit, dans le cas d’une action en paiement au titre d’un crédit immobilier consenti par un professionnel à un consommateur, à la date du premier incident de paiement non régularisé ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que s’étant montré défaillant dans le remboursement d’un prêt immobilier souscrit auprès de la société Crédit immobilier de France Centre Est (la banque), M. X... a été vainement mis en demeure par celle-ci, par lettre du 22 juin 2009, de régulariser sa situation sous huit jours sous peine de déchéance du terme ; que, les 26 mai 2010 et 23 mai 2011, la banque a délivré à M. X... deux commandements de payer valant saisie immobilière ; que, le 28 février 2011, M. X... a saisi le juge de l’exécution afin d’obtenir la mainlevée de l’hypothèque inscrite par la banque sur l’un de ses immeubles ; que, le 6 septembre 2011, la banque a assigné M. X... devant le même juge aux fins d’obtenir la vente judiciaire des biens saisis en vertu des commandements précités ;

Attendu que pour déclarer recevable l’action de la banque malgré l’annulation des commandements de payer ayant privé ceux-ci de tout effet interruptif de prescription, l’arrêt retient que le point de départ du délai de prescription biennale de l’article L. 137-2 du code de la consommation doit être fixé à la date de déchéance du terme du prêt immobilier, soit au 30 juin 2009, et que M. X... a ensuite reconnu sa dette dans l’assignation délivrée le 28 février 2011, en sorte qu’un délai inférieur à deux années s’est écoulé entre cette reconnaissance valant interruption de la prescription et la saisine de la banque tendant à la vente judiciaire des biens du débiteur ;

Qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a violé, par fausse application, les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il rejette la demande de M. X... tendant à faire déclarer prescrite l’action de la société Crédit immobilier de France Centre Est résultant du prêt notarié du 6 octobre 2006, l’arrêt rendu le 4 février 2013, entre les parties, par la cour d’appel de Nancy ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Metz.


dimanche 5 octobre 2014

Taux d’intérêt légal : un nouveau mode de calcul



L’ordonnance n° 2014-947 du 20 août 2014, relative au taux de l'intérêt légal, réforme les modalités de calcul du Taux d’Intérêt Légal.

Elle modifie totalement la méthode de calcul de ce taux.

Il y aura désormais deux Taux d’intérêt légal, calculés tous les semestres :

-  l’un, applicable de manière spécifique aux créances dues aux particuliers, qui présentent des coûts de refinancement en moyenne plus élevés que les autres catégories d’emprunteurs. Ce taux sera calculé semestriellement, en fonction des taux moyens des crédits consentis aux particuliers.

- l’autre, applicable à l’ensemble des autres cas et, notamment, aux banques. Ce taux sera calculé semestriellement, en fonction du taux directeur de la Banque centrale européenne sur les opérations principales de refinancement et des taux pratiqués par les établissements de crédit et les sociétés de financement.

Le Taux d’Intérêt Légal applicable aux créanciers particuliers sera vraisemblablement supérieur à celui applicable aux professionnels.

Cette réforme entrera en vigueur le 1er janvier 2015.

Elle risque d’avoir une incidence sur les procédures tendant à contester le Taux Effectif Global (TEG) des prêts immobiliers.

Le texte de l’ordonnance peut être consulté en cliquant sur ce lien.